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Walsh et quatre agents du Bureau de l’alcool, du tabac et des armes à feu se présentèrent chez Cole une heure plus tard. Deux d’entre restèrent autour des voitures, mais deux agents de sexe masculin entrèrent avec Walsh – un Latino à l’air dur, Paul Rodriguez, et un grand échalas du nom de Steve Hurwitz. Hurwitz portait une combinaison vert olive du Spécial Response Team, le groupe d’intervention spéciale de l’ATF, sorte d’équivalent du SWAT. Ils se déployèrent prudemment, presque suspicieusement, dans le salon de Cole, comme s’ils s’attendaient à voir quelqu’un surgir d’un placard. Jon Stone avait rapporté de chez lui une grosse boîte pleine de matériel de surveillance, et Cole l’assistait dans ses réglages. Il avait troqué sa chemise contre un gilet pare-balles. Pike ne pouvait pas leur reprocher de vouloir prendre des précautions, surtout au vu des sommes enjeu.
Sept cent cinquante mille dollars en espèces ne prenaient pas une place énorme. Le tout aurait tenu dans quatre boîtes à chaussures.
Walsh transportait la somme dans un sac de sport à bandoulière. Un sac plus petit que Pike ne l’aurait cru, mais dont la démarche de Walsh trahissait le poids.
Elle le hissa sur la table du coin salle à manger et l’ouvrit. Pike comprit alors pourquoi le sac était petit : les billets étaient en liasses comprimées sous vide dans du plastique transparent.
— Il n’y a pas que du vrai, dit-elle. On a mis un demi-million en fausse monnaie récupérée chez un narco.
— Et si Jakovic vérifie ? demanda Cole.
Hurwitz éclata de rire.
— Vous n’aurez plus qu’à partir en courant.
Walsh plaça un formulaire sur la table et tendit un stylo à Pike.
— Il va falloir me signer un reçu. Ne vous en servez que si Darko n’apporte pas sa part. C’est tout ce que j’ai pu faire dans un délai aussi court. Allez, signez, et mettons ça au point. J’ai beaucoup de monde à coordonner.
— Vous ne pensez pas qu’il voudra compter ? insista Cole.
— Arrêtez de jouer au con.
Pike signa puis repoussa le formulaire.
— Où est la sœur de la nounou ? demanda Walsh.
Cole alla chercher Rina dans la chambre d’amis. Son visage était tout fripé, encore plus livide que la veille. Rodriguez lui signifia son arrestation pendant que Cole sectionnait ses entraves en plastique. L’agent la retourna immédiatement et lui mit une paire de menottes. Hurwitz répéta en serbe tout ce que lui disait Rodriguez.
— Faites-en ce que vous voudrez, commenta Pike, mais elle nous a aidés sur la fin.
— Sympa. Si elle continue au moment de témoigner, ça lui rapportera peut-être quelque chose.
Rina chercha le regard de Pike pendant que Rodriguez l’entraînait vers la sortie et lui lança en serbe quelque chose qu’il ne comprit pas.
Hurwitz se tourna vers lui.
— Vous comprenez le serbe ?
— Non.
— Elle vous souhaite d’y arriver pour Ana.
Walsh afficha une mine agacée, comme s’ils étaient en train de perdre du temps.
— Et le bébé ? Où est-il ?
— En lieu sûr.
Elle faillit dire quelque chose, mais secoua la tête et se ravisa.
— Bah, oubliez ça. Venons-en au fait. Comment est-ce que ça va se passer ?
— Jon, dit Pike.
Stone montra aux flics un minuscule objet qui ressemblait au mouchard découvert sous la Jeep de Pike.
— Vous vous souvenez de ça ?
Walsh s’empourpra.
— Ce n’est pas le même, reprit Stone. Le truc que vous avez mis sur sa Jeep est parti à la poubelle. Celui-ci est à moi. En céramique, transmission numérique par paquets, zéro signal radio, indétectable par les scanners d’aéroport et autres. Mieux que le vôtre.
L’agent du SRT s’esclaffa.
— Mais ma bite est plus longue.
Stone l’ignora.
— Un sur Pike, un sur Cole – ils feront le voyage ensemble – et un sur leur véhicule, la Jeep de Pike. La réception se fera via le répéteur de mon ordinateur portable. Je peux vous envoyer le logiciel à télécharger par e-mail et vous installer un répéteur esclave, si vous voulez.
Hurwitz alla à la porte et lança à un des agents restés dehors :
— Carlos ? Ramène-toi, vieux. On a un truc technique à voir avec toi.
L’agent rappliqua au trot et se mit aussitôt à dialoguer avec Stone. Pike détailla son plan et la façon dont il avait prévu de réunir Jakovic et Darko là où se trouvaient les kalachnikovs. Walsh et ses hommes n’auraient qu’à suivre le mouvement puis à intervenir dès que la présence des armes serait avérée.
— Et pour Darko ? demanda-t-elle.
— Elvis et moi devons le retrouver à Venice. On lui a proposé un point de rendez-vous proche de la marina.
Walsh se tourna vers Cole.
— À deux ?
— Il risque d’amener du monde, répondit Pike. Ça fera meilleure impression si je fais pareil.
— Je suis son monde, précisa Cole en se montrant du doigt.
— Il croit qu’on vient chercher le fric, poursuivit Pike. En fait, on y va surtout pour lui remettre ça.
Stone leur montra un localisateur de poche.
— Il croit que ça va lui servir à suivre Joe et Elvis jusqu’aux armes, mais ça va surtout nous permettre de le suivre lui. Vous aussi, vous pourrez savoir où, quand vous aurez téléchargé le logiciel.
Carlos sourit largement.
— Ça me plaît.
— Si je comprends bien, dit Hurwitz, Venice sera notre point de départ ?
— On y va juste pour retrouver Darko. Ensuite, direction la marina. C’est plutôt là que se situera le vrai point de départ.
— Quant au point d’arrivée, ajouta Walsh, on ne le connaît pas. Jakovic doit les emmener jusqu’aux armes.
— S’ils y vont en bateau, on est baisés.
Hurwitz ne semblait pas enthousiaste. Il haussa tout de même les épaules.
— D’accord. Si je comprends bien, on leur file le train et on prépare le coup de filet. Ça, on sait faire.
Ils passèrent l’heure suivante à peaufiner leur plan et à régler leur matériel. Stone téléchargea son logiciel sur l’ordinateur portable de Carlos puis équipa Pike et Cole de leurs mouchards – dans les cheveux pour Cole, sous la boucle de ceinturon pour Pike. Pendant ce temps, Walsh et Hurwitz donnèrent de multiples coups de fil pour coordonner l’équipe tactique du SRT et les six agents spéciaux appelés en renfort.
À 12 h 45, les agents partirent pour Venice, où se trouvait leur point de rassemblement. Walsh fut la dernière à s’en aller. Elle attendit que tous les autres soient sortis pour attirer Pike à l’écart.
— Personne n’a apprécié ce qui s’est passé à Lake View, mec. Je me demande vraiment ce que vous essayiez de faire.
— Je vous l’ai dit.
— N’oubliez pas – à partir du moment où on envoie la sauce, Michael Darko est à moi.
À 13 heures pile, Pike et Cole montèrent dans la Jeep et descendirent des collines. Stone était déjà parti. Cole émit un soupir exagéré.
— Enfin… Un peu de temps pour papa et papa.
Pike ne répondit pas. Il pensait au petit. Ils l’avaient laissé chez la voisine de Cole, Grace Gonzalez, et il se demandait comment il allait.
Michael Darko les attendait au bout de Market Street, à Venice. Bordée de places de stationnement en épi, la rue se terminait face à la promenade en bois, à deux pas du Sidewalk Café. Cole avait suggéré cette adresse parce que les pizzas y étaient bonnes, et Darko avait accepté parce que l’endroit grouillait de touristes, d’artistes de rue et de gens du coin.
Deux grosses BMW noires et un Cadillac Escalade également noir étaient serrés les uns contre les autres devant le café, occupant presque tout l’espace disponible.
— Ces mecs ne connaissent pas d’autre couleur que le noir, ma parole, observa Cole.
Pike s’arrêta à la hauteur des BMW et descendit de la Jeep. Cole resta à l’intérieur. Pendant qu’il descendait, les portières des deux BMW s’ouvrirent ; Darko et trois de ses hommes en sortirent.
Darko vrilla ses yeux sur Cole.
— Qui c’est, celui-là ?
— Il va m’aider à vérifier les fusils. Jakovic est prévenu.
Pike remit à Darko le localisateur de poche et lui expliqua son fonctionnement. Un cercle lumineux vert était visible sur le plan affiché à l’écran.
— Ça vous permettra de nous suivre à distance. Vous voyez ce cercle ? C’est nous. Ne nous serrez pas de trop près, Jakovic pourrait vous repérer. Restez en retrait. Avec ce truc, vous ne risquez pas de nous perdre.
Darko et deux de ses hommes se lancèrent alors dans une conversation autour de l’appareil à laquelle Pike ne comprit rien, puis Darko ouvrit une des portières arrière de la BMW la plus proche. Il en sortit un sac de sport nettement plus volumineux que celui que leur avait apporté Walsh.
— Le fric. Vous pouvez vérifier.
Le sac était bourré de liasses de billets de cent. Pike ne se fatigua pas à les compter.
— Pas la peine. Vous récupérerez tout ça quand on aura les armes.
Darko sourit et adressa un clin d’œil à ses potes.
— Si ça marche, peut-être qu’on refera des affaires ensemble, vous et moi.
— Ça m’étonnerait, lâcha Pike.
Darko resta pensif.
— Dites-moi un truc, fit-il. Comment est-ce que vous aviez prévu de me livrer à Jakovic ?
— Je lui ai dit que vous vous attendiez à ce que je vous vende les armes. Je lui ai dit que j’allais vous fixer rendez-vous et que ses hommes n’auraient qu’à vous descendre à votre arrivée.
Pike mima un pistolet avec sa main, le pointa sur Darko et appuya sur la détente.
Darko parut se rendre compte de ce que Pike venait de dire et balaya lentement du regard les bâtiments environnants.
— On ferait mieux d’y aller, conclut Pike. Il nous attend.
Pike remonta dans sa Jeep et mit le cap sur la marina.